par Fabrice Imbault, Directeur Général d’A Plus Finance

Les mégafusions peuvent déstabiliser les entreprises gravitant autour du grand groupe. Favoriser l’intérêt général reste le meilleur remède.


Lors d’une mégafusion impliquant une grande entreprise française, l’État est fondé à s’interroger sur l’impact de cette opération pour l’économie nationale. Où certains pourraient voir un interventionnisme intempestif, il convient de voir le juste examen de l’instance chargée de garantir l’intérêt général, et en particulier l’emploi.

Aussi, lorsque le Président de la République a décidé de recevoir à l’Élysée les PDG de Nokia et Alcatel-Lucent le jour de l’annonce de la fusion des deux groupes, il était dans son rôle. Le gouvernement reçut à cette occasion des garanties concernant la préservation de l’emploi en France et notamment le maintien d’importantes activités de R&D d’Alcatel-Lucent.

Pour autant, cette « due diligence » publique menée en un temps record avant d’adouber la fusion prend-elle en compte l’ensemble de l’écosystème, dimension devenue majeure pour l’économie ?

Deux types de fournisseurs
Un grand groupe génère ainsi des centaines d’emplois indirects, qui vont du service quotidien aux prestations à très haute valeur ajoutée, fournis par des PME locales comme par des fournisseurs internationaux (systèmes d’information, consultants, prestataires logistiques, immobilier, infrastructures de transport, sociétés de nettoyage, équipements divers, etc.). Il est évident que la préservation de l’emploi direct contribue à la préservation de l’emploi indirect. Cela n’est cependant pas mécanique, bien au contraire.

L’écosystème d’un grand groupe se compose en effet de deux types de fournisseurs. On trouve d’un côté les fournisseurs dépendant d’une mise en concurrence gérée au plan global par la direction des achats : dans cette compétition, la prime va aux acteurs globaux capables d’offrir une empreinte mondiale, ou tout au moins une présence dans les pays d’implantation du groupe.

De l’autre côté, on trouve des prestataires plus locaux, implantés dans certains territoires seulement : ces prestataires de proximité sont le plus souvent des TPE-PME dont l’activité est nourrie par ces grands groupes. Ces TPE-PME bénéficient de l’ancrage de ces groupes et de la préférence territoriale induite, mais aussi de leviers tels que l’environnement réglementaire, l’affinité culturelle, de l’interconnexion entre prestataires…

Rassurer
Autant d’équilibres subtils qui par capillarité font d’un grand groupe le poumon d’une activité et lui confèrent au sein du monde économique une responsabilité à part. Le maintien de l’emploi direct n’est pas toujours suffisant au maintien de ce réseau fragile de fournisseurs de toutes sortes. Les grandes fusions transfrontalières, qui s’accompagnent le plus souvent par la délocalisation du centre de décision, tendent à rendre les décisions d’investissement moins sensibles aux enjeux territoriaux et à les rationaliser à l’extrême.

Pour autant, il serait absurde de tirer parti de cela pour freiner ou interdire ces mouvements de concentration, comme cela a pu se voir dans un passé récent. Ces fusions appartiennent aux mouvements vitaux de l’économie. Mais ce sont ces opérations précisément qui démontrent que la question de l’emploi n’est pas à traiter dans un schéma statique cautionné par la puissance publique : elle est essentiellement dynamique et dépend donc des conditions dans lesquelles il est possible d’investir en France.

Autrement dit, la due diligence publique destinée à rassurer l’opinion sur la pérennité de l’emploi direct n’est que très accessoire au regard de décisions structurantes sur les conditions réservées à ceux qui veulent investir dans notre pays. L’écosystème économique qui irrigue notre territoire est comme tous les autres soumis à des benchmarks et à des décisions désensibilisées de l’attachement territorial : c’est donc par des critères objectifs, comparables, tangibles qu’il faut remplacer l’affectio patriae –, et cela dans la durée, de façon structurante et visible.

Pour le tissu français des TPE-PME et pour ceux qui veulent y investir, cette vision économique et pragmatique de l’intérêt général est à l’évidence le meilleur remède aux inquiétudes générées par les mouvements stratégiques des grands donneurs d’ordres.