Fabrice Imbault, Directeur Général d’A Plus Finance, signe une nouvelle tribune pour le Cercle des Echos.

L’opération ne sera achevée que dans quelques semaines. Mais, déjà, l’introduction en Bourse de Snap suscite de nombreux espoirs. Créée il y a cinq ans, la société qui chapeaute l’application de messagerie Snapchat est valorisée plus de 20 milliards de dollars. Le Nasdaq n’avait plus connu une introduction en Bourse d’une société technologique de cette taille depuis Facebook en 2012… Comme si le lien avait été rompu entre les marchés financiers et les sociétés d’hyper croissance.

Ce « trou noir » peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Les dysfonctionnements répétés de la Bourse en sont un. La mise en Bourse de Facebook en 2012 avait été marquée par une séries de ratés techniques lors du premier jour de cotation ce qui avait longtemps pesé sur le cours du réseau social. De même, les récents événements ont montré que la Bourse peine à refléter correctement l’environnement économique. A en croire la très grande majorité des pronostics, une victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine devait précipiter la Bourse dans le précipice. Un mois plus tard, le S&P 500 a gagné 3,5%. Dans les jours précédents l’élection présidentielle américaine, le Dow Jones a enchainé neuf séances de baisse consécutives. Une série noire inconnue depuis deux décennies provoquée non pas par un événement économique ou une décision de politique monétaire mais par la possible relance de l’enquête du FBI sur les emails personnels d’Hilary Clinton… La multiplication de ces réactions de marché « contre-nature », reposant sur des éléments intangibles et étrangers à la théorie financière et économique, contribue à nourrir les critiques envers la Bourse : court-termiste, inefficiente et donc dangereuse, pour les investisseurs mais aussi pour les entreprises candidates à la cotation.

Un autre élément peut expliquer la réticence des groupes de croissance à venir en Bourse. Ces dernières années ont été marquées par la montée en puissance du private equity. Des groupes comme Uber ou Airbnb ont réussi à constituer leur place de numéros un mondiaux sans l’aide des marchés. Les liquidités abondantes dont disposent les fonds de private equity suffisent pour financer les besoins de fonds propres de ces entreprises qui se compte parfois en milliards de dollars. Non coté, Uber a par exemple levé 5 milliards de dollars avant l’été. En 2004, lors de son introduction en Bourse sur le Nasdaq, Google n’avait récolté que 2 milliards de dollars de son augmentation de capital. La valorisation du moteur de recherche n’avait jamais dépassé le milliard de dollars avant son IPO. Uber vaudrait plus de 60 milliards… Pourquoi donc aller en Bourse se demandent de nombreux dirigeants ?

Pour autant, malgré ces défauts, la Bourse reste un outil souvent incontournable, notamment pour organiser la liquidité, facteur indispensable au bon fonctionnement des économies. Connues et transparentes, ses règles sont partagées par tous. Elles procurent ainsi un cadre stable, condition indispensable de pérennité capitalistique. La Bourse offre aussi un mode de financement élargi, en donnant accès à une multitude de nouveaux investisseurs, de natures différentes. Enfin, une introduction en Bourse permet de remettre à plat la structure actionnariale d’une entreprise. Uber en est déjà à son septième tour de financement, ce qui crée nécessairement des décalages entre les investisseurs entrés à la naissance du groupe et ceux arrivés sur le tard.

Mais les choses évoluent et là où il y a quelques années encore, la Bourse constituait le relais naturel au monde du private equity, les deux modes de financement coexistent aujourd’hui sur des entreprises de taille très similaires. Le cas emblématique de Dell est une belle illustration de la nécessité d’avoir le choix pour les entrepreneurs comme pour les investisseurs de passer d’un système à l’autre. Même si le Monde titrait en février 2013 « Dell quitte la Bourse pour retrouver sa liberté », les motivations de cette opération de 25 milliards de dollars étaient surtout dictées par la nécessité de revoir profondément le business model de la compagnie. Or dans un système de marchés financiers centré sur la rémunération du capital, il est parfois difficile d’opérer des changements stratégiques profonds sans être violemment sanctionné en termes de valorisation. En ce sens, le monde du Private Equity est sans doute capable de beaucoup plus de patience.

C’est donc une forme de concurrence qui se développe entre les deux modes de financement. Il faut s’en réjouir car cela multiplie les sources pour l’économie réelle mais il faut être également vigilant à que cette concurrence ne créé pas de tension sur les prix engendrant de nouvelles bulles. Snapchat sera valorisé plus de 20 milliards de dollars dans quelques semaines…